Cordes vibrantes et consonances chez Beeckman, Mersenne et Galilée*

Patrice BAILHACHE


Département de Philosophie, Rue de la Censive du Tertre
BP 81227, F-44312 Nantes Cedex 3, France

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* Publié dans Sciences et techniques en perspective, no 23, Université de Nantes, "Musique et mathématiques", 1993, p. 73-91.






1. Physique et perception du son à l'époque de Mersenne

Avant d'étudier ce qui fait l'objet principal de cet article, indiqué dans le titre, il convient de rappeler quelles étaient les conceptions ordinaires sur le phénomène sonore dans la première moitié du XVIIe siècle.
Si Beeckman présente une théorie corpusculaire du son(1), inspirée de l'atomisme épicurien de Lucrèce, la conception la plus courante reste celle qu'on trouve chez Mersenne, qui peut être prise ici comme référence: le son provient d'un mouvement ondulatoire de l'air (ou plus généralement du milieu dans lequel il se propage). Les premières phrases de la Proposition V du Premier Livre de L'Harmonie universelle nous font entrer de plain-pied dans le style de la pensée du savant religieux:

"Nous vivons dans l'air comme des poissons dans l'eau, mais avec cette différence que nous ne pouvons sortir hors de l'air, ny arriver à sa surface, comme ils font, car ils sautent souvent hors de l'eau, ou se tiennent dessus, mais nous avons tousiours plus de cinquante mille lieuës d'air sur la teste, car il s'estend iusques à Lune [sic], & peut-estre iusques au Firmament, & par delà. Or puis que nous ne voyons pas l'air, qui peut estre appelé l'eau ou la mer des hommes & des autres animaux, & qui peut-estre n'est nullement différent de l'eau, qu'en ce qu'il est plus rare & plus leger; il semble que nous ne pouvons mieux expliquer ou comprendre la maniere dont se meut l'air, quand il sonne, que par celle dont se font les mouvemens de l'eau par les corps qui se meuvent dedans, & qui la battent avec violence: car il ne faut pas seulement s'imaginer le mouvement qu'on voit sur l'eau, lorsqu'elle fait des cercles qui vont tousiours en croissant depuis le lieu où la pierre a esté iettée, qui leur sert de centre, iusques au bord du vaisseau qui la contient: mais il faut remarquer si elle fait de semblables mouvemens iusques au fonds, & si ces cercles s'estendent dans toute la profondeur ou la solidité de l'eau, comme l'on peut conclure tant par les Sons qui se font dans l'air, que par ceux qui se font dans l'eau, car on les oyt esgalement de tous les costez [...]".(2)

Selon Mersenne, l'air se meut "en bloc", pour ainsi dire sans élasticité, parce qu'il n'y a pas de vide(3). Le son musical est constitué de battements(4), c'est-à-dire, comme l'exprime aussi Galilée, de percussions ou de coups concept qu'il faut bien se garder d'assimiler aux battements de la physique moderne. Tous les savants de l'époque adhèrent à cette idée "reçue", que chaque coup fait un son. Ainsi Mersenne écrit-il:

"L'on peut dire la mesme chose des battemens qui font l'Unisson, & les autres Consonances: par exemple, l'Octave n'est autre chose que deux battemens d'air comparez à un battement d'air; de sorte que l'on peut dire que deux oiseaux qui volent, dont l'un bat l'air deux fois plus viste que l'autre, font l'Octave, car encore que l'on oye pas ces battemens, ils font neantmoins des sons qui peuvent estre oüis par des oreilles plus subtiles que les nostres. Il faut dire la mesme chose de tous les autres battemens de l'air qui sont faits par les boulets de canon, & des autres missiles que l'on jette dans l'air."(5)

On notera que si l'exemple des oiseaux est admissible, celui des boulets ne l'est point, et cela précisément parce que le son musical est par essence un phénomène périodique. Nous verrons tout à l'heure que la méconnaissance de ce trait fondamental place Mersenne dans une situation difficile sur le plan de la théorie des cordes vibrantes, une situation inférieure à celle Beeckman (bien que celui-ci ne prenne pas non plus conscience de l'importance de la périodicité dans le phénomène sonore).

Reste le phénomène de la perception proprement dite. Qu'il se transmette sous forme de globules (Beeckman) ou d'ondes (Mersenne, Galilée), le son produit des coups sur la membrane du tympan. Mais savoir ce qui a lieu au delà, c'est-à-dire par quel processus les vibrations du tympan ont pour effet final la perception du son, cela est totalement hors de la portée du XVIIème siècle. Il faudrait connaître l'anatomie de l'oreille interne et en comprendre le fonctionnement; or cela ne sera atteint que bien plus tard, au XIXème siècle(6).
Aussi faut-il reconnaître que, sur le sujet de la perception du son, à l'époque qui nous occupe, moins on en dit, moins on risque de se tromper. Le silence est ici une preuve de perspicacité, l'attitude de Galilée en est un exemple. A l'inverse, la naturelle faconde de Mersenne conduit le minime à "improviser". Toutefois, si ses tentatives d'explication contiennent neuf dixièmes de métaphysique au sens où ce mot sera employé par les mathématiciens et les physiciens des siècles suivants on doit ajouter qu'elles ne sont pas toujours si mauvaises(7). Et du reste il reconnaît qu'il s'agit de l'"une des plus grandes difficultez de la Physique". L'oreille n'est qu'un instrument; elle ne connaît pas le son"(8). Des coups physiques qui frappent le tympan à l'audition du son, de nature spirituelle, il faut faire le saut; on retrouve ici la séparation cartésienne de l'âme et du corps. "L'esprit du musicien est incorruptible et immortel". Et, finalement, après avoir disserté sur les propriétés métaphysiques de l'esprit(9), Mersenne note que celui-ci est distribué dans chaque partie du corps et donc, en particulier, dans le nerf auditif:

"or l'on peut s'imaginer que l'esprit est comme un point indivisible & intellectuel, auquel toutes les impressions des sens aboutissent, comme toutes les lignes du cercle à leur centre, ou comme tous les filets d'une toille de l'araigne qui la filee & tissuë: car comme l'araigne sent & apperçoit tous les mouvemens & toutes les impressions que recoivent lesdits filets, de mesme l'esprit de l'homme apperçoit toutes les impressions des muscles, des nerfs, & de leurs fibres, & filamens."(10)




2. Vibration des cordes

1. Beeckman

Dans son Journal, en 1615, Isaac Beeckman tient le raisonnement suivant pour établir que la fréquence d'une corde vibrante est inversement proportionnelle à sa longueur, toutes choses égales d'ailleurs.

"Soit donc la corde ab partagée en son milieu c: de ab à cb résonnera donc une octave. Et soit ab de telle nature qu'elle puisse être tendue jusqu'à h, de telle sorte que la même corde ab soit, tendue et plus longue, ahb. La corde moitié, cb, sera donc d'une telle nature qu'elle pourra être égale en longueur à la moitié de ahb, si elle est tendue de la même manière que ab était tendue. La corde cb sera donc la même que clb et clb est cb tendue. Comme clb est en longueur la moitié de ahb elle est en effet égale à hb par construction, qui est égale à ah il suit de là que hc est le double de lm: ce que bl est à bh, lm l'est à hc; et comme la nature de la corde clb n'est ni plus ni moins affectée que la corde ahb par un effort égal, l'une et l'autre cordes tendent vers le lieu d'équilibre ab, cb, et l'ayant dépassé, reviennent d'une vitesse égale. Or comme hc est le double de lm, le point l traversera deux fois le lieu d'équilibre m, pendant que le point h ne traverse qu'une seule fois le point d'équilibre c; et puisqu'en c et m le mouvement est le plus rapide et le plus fort en effet, en h et l la corde est au repos , là où la corde est la plus éloignée du lieu de pause (l et h sont en effet des lieux intermédiaires entre chaque son), là le mouvement est le plus énergique [fortius] et là a lieu le son le plus puissant. La corde cb ou clb émet donc deux fois un son dans le même temps que la corde ab ou ahb en émet un seulement une fois"(11).

Ce raisonnement exige une explication soigneuse et plusieurs remarques. Pour commencer, on sait bien aujourd'hui qu'une corde tendue ne vibre pas du tout de la manière dont Beeckman le décrit. La forme triangulaire ne se produit pas et plusieurs vibrations harmoniques sont compatibles dans le phénomène. Si T est la tension, L la longueur de la corde, m sa densité linéaire, t le temps, x la variable d'espace dans le sens de la corde et y celle dans le sens perpendiculaire, la vibration y prend la forme générale:

Un mouvement vibratoire limité à la composante n = 1, toutes les autres étant nulles, est possible; la corde vibre alors à sa fréquence fondamentale, f, qui vaut:

C'est cette loi, sous une forme simplifiée, que Beeckman a en vue. Lorsque la tension et la densité linéaire sont constantes, la fréquence est inversement proportionnelle à la longueur.

Remarquons préalablement qu'en ce qui concerne la schématisation de la corde sous la forme d'un triangle, il est possible d'étudier le mouvement d'une masse ponctuelle unique située au milieu de la corde (un caillou attaché à un élastique sans masse); le calcul produit alors la même formule pour la fréquence que celle de la vibration fondamentale de la "vraie" corde, avec un coefficient multiplicateur de 0,45 toutefois. Et ceci montre que l'approximation de la forme triangulaire est admissible (Cf. Bailhache, "Isaac Beeckman a-t-il...", op. cit., à la fin de l'article).

Si nous acceptons cette approximation, que trouvons-nous dans le raisonnement de Beeckman? Après avoir établi géométriquement que hc = 2 lm, celui-ci reconnaît que "la nature de la corde clb n'est ni plus ni moins affectée que la corde ahb par un effort égal". Qu'entend-il au juste par ces termes? Sur quoi s'applique cet effort? Apparemment, Beeckman veut dire que l'effort s'applique à la corde dans son ensemble, et il ne précise nullement qu'on est en droit de le regarder comme réduit à une résultante en h ou en l.
La suite de son raisonnement est très vite développée: "l'une et l'autre cordes tendent vers le lieu d'équilibre ab, cb, et l'ayant dépassé, reviennent d'une vitesse égale". toute la question est maintenant de comprendre ce que Beeckman entend par "vitesse égale". Assurément, il veut au moins dire que les vitesses des points correspondants des deux cordes (par exemple h et l) sont égales. Et cela est tout à fait vrai mécaniquement, s'agissant des vitesses instantanées de points en phase de deux cordes vibrant au son fondamental, ainsi qu'il est facile de le prouver. Mais ce serait là extrapoler la pensée de Beeckman d'une façon téméraire. Car on ne voit pas clairement, s'il conçoit que la vitesse est constante ou non. Puisqu'il parle ensuite des lieux (c et m) où "le mouvement est le plus rapide et le plus fort", il a bien conscience que la vitesse varie. Mais, bien évidemment, il ne connaît pas sa loi précise de variation; et comme il ne mentionne pas qu'il faut considérer des points en phase, on peut craindre au contraire qu'il n'a dans l'esprit que la vitesse moyenne, ce qui enlève alors presque toute valeur démonstrative à sa déduction. Il faut même ajouter que les dernières lignes: "Or comme hc est le double de lm, le point l traversera deux fois le lieu d'équilibre m, pendant que le point h ne traverse qu'une seule fois le point d'équilibre c" ne se comprennent que si la vitesse restait constante(12).

D'ailleurs, de quel droit Beeckman conclut-il à l'égalité des vitesses à partir de celle des efforts? On sait que dès 1613, il avait formulé cette importante proposition anti-aristotélicienne: ce qui est une fois mis en mouvement demeure en mouvement éternellement(13). Mais si la loi de la dynamique aristotélicienne de la proportionnalité de la vitesse à la force n'est plus valable, comment tirer l'égalité des vitesses de celle des efforts? Certains(14) ont avancé que Beeckman avait considéré le phénomène seulement dans le "premier instant". Mais c'est là quelque chose d'absurde, puisqu'au départ de la position de repos, la force est finie (et maximale), tandis que la vitesse est nulle. Aussi faut-il conclure que le raisonnement de Beeckman n'a que l'apparence d'une démonstration. Au demeurant, on n'en est guère surpris, si l'on songe qu'il apparaît de nombreuses années avant l'invention du calcul différentiel et intégral, outil absolument nécessaire pour mener à bien l'analyse de la situation mécanique en jeu.

Une dernière remarque doit être faite sur le texte de Beeckman. Elle concerne la nature du son et la manière dont il est émis. Notre savant écrit: " puisqu'en c et m le mouvement est le plus rapide et le plus fort [...], là le mouvement est le plus énergique et là a lieu le son le plus puissant". Et la dernière phrase de ma citation montre que Beeckman conçoit que le son est émis chaque fois que la corde passe par c ou m(15) Ceci est important, car il faut se souvenir que la nature même du son, dans la première moitié du XVIIème siècle, et moins encore sa perception, ne sont pas comprises. Comme je l'ai mentionné, Beeckman avait une conception corpusculaire du son. Mais ceci n'est pas, dans le cas présent, ce qu'il y a de plus important; ce qu'il convient de rappeler, c'est qu'à l'instar de tous ses contemporains, Beeckman n'imagine pas que la perception du son résulte de l'intégration d'une série périodique de stimuli. Pour lui, chaque passage de la corde à sa position centrale constitue un son.



2. Mersenne

Mais laissons de côté la physique du son et la théorie de sa perception, pour en venir à la version mersennienne, si j'ose dire, du raisonnement sur la loi des cordes vibrantes. On la trouve au troisième livre du "Traité de la nature des sons, et des mouvements de toutes sortes de corps", traité inclus dans le premier volume de l'Harmonie universelle. La "démonstration" est directement inspirée de celle de Beeckman:

"Soit la chorde precedente AB attachée aux deux chevalets du Monochorde aux deux points A & B; & la chorde AF attachée aux points A & F, ie dis que la chorde AB estant tirée au point G ne retornera qu'une fois au point F, pendant que la chorde AF tirée au point I, retornera deux fois au point H, comme monstre l'expérience; de sorte que AF reviendra tousjours deux fois pendant que AB ne reviendra qu'une fois: par consequent le nombre de retours d'AF est double de ceux d'AB, comme la chorde AB est double de la chorde AF: d'où il s'ensuit que le nombre des mouvemens ou des retours d'une chorde s'augmente en même raison que sa longueur se diminuë, & consequemment que la raison desdits retours est inverse de la raison des longueurs de la chorde.
La raison de cette inesgalité de retours se prend de l'esgalité de la tension, car le point G de la chorde AB va aussi viste vers F, que le point I de la chorde AF va vers H; ce qui preuve que la chorde AB est aussi tenduë, & aussi violentée au point G, que la chorde AF l'est au point I: mais parce que le point G a deux fois plus de chemin à faire iusques à F, que le point I iusques à H, il s'ensuit que le point I ira iusques à H, & reviendra de H vers le point I, pendant que G ira à F; & qu'I frappera deux fois l'air de la ligne AF, pendant que G ne frappera qu'une fois l'air de la ligne AB.".[Harmonie universelle, *, III, p. 157.]

Deux choses surprennent dans ce raisonnement, quand on le compare à celui de Beeckman. C'est d'une part que Mersenne décrit le trajet du milieu de la petite corde comme un aller et retour IH-HI, pendant que, de même, le milieu de la grande corde va de G à F. Ainsi les cordes ne dépassent-elles pas la position rectiligne d'équilibre, ce qui paraît tout à fait invraisemblable! Mais on va voir que cela n'est, en quelque sorte, qu'une hypothèse de travail simplificatrice(16), que Mersenne abandonne par la suite. C'est d'autre part le fait que la figure soit orientée dans le sens inverse de celle de Beeckman, la pointe vers le bas. De cette seconde nouveauté, on trouve la raison au corollaire I de la page suivante:

"L'on peut comparer la vitesse du point G ou I à la vitesse des pierres & autres missiles que l'on iette avec violence, car ils vont tousiours plus viste au commencement de leur mouvement qu'en nul autre endroit;[...]"

Mersenne compare le mouvement des cordes à celui des corps pesants jetés verticalement vers le haut, et voilà donc une nouvelle faute par rapport à la preuve de Beeckman, pourtant déjà bien imparfaite: au lieu d'accroître sa vitesse depuis la position extrême vers la position centrale, pour la ralentir ensuite de cette position vers l'autre position extrême, Mersenne semble s'imaginer que la corde ne cesse de la diminuer à partir de la position extrême. A vrai dire, on assiste ici aux hésitations du savant, comme dans bien d'autres cas(17).

Changeant de figure, de telle sorte que le point milieu de la corde part maintenant d'en haut et qu'il dépasse la position d'équilibre (comme si la situation élevée conférait suffisamment d'énergie à la corde pour tomber), Mersenne écrit:

"Secondement ie dis qu'elle alentit tousiours son mouvement depuis C iusques à H, où il est si tardif que plusieurs croyent qu'elle s'y repose un moment avant que de retorner à F, auquel elle se repose encore, de sorte qu'elle se repose autant de fois comme elle fait de tours, ou de retours: par exemple si elle en fait 2000 [...]." [Ibid., p. 160-161.]

La suite est d'esprit très aristotélicien:

"En troisiesme lieu, il est certain que le tour de la chorde depuis C iusques à H est naturel depuis C iusques à E, auquel elle retourne comme à son centre, ou à sa ligne de direction AEB; & que le reste d'E à H peut estre appelé violent, parce qu'il l'esloigne de son centre E, [...]." [Ibid., p. 161.]

En vérité, Mersenne est dans un grand embarras au sujet du mouvement des cordes:

"Or ie trouve icy trois difficultez fort considerables, à sçavoir si la chorde ne va pas tousiours plus viste depuis F iusques à E, puis que nous experimentons que les corps pesans vont d'autant plus viste qu'ils approchent davantage de leur centre, & que nous disons qu'E est le centre de la chorde, dont le point est consideré comme une pierre qui tombe vers le centre de la terre E. La seconde difficulté consiste à sçavoir pourquoy la chorde ne s'arreste pas en E, puis qu'il semble qu'elle n'a nul autre dessein que de retourner à son centre, & neantmoins elle le quitte deux mille fois autant que de s'y reposer.
Et la troisiesme appartient à la cause des retours, ou des reflexions de la chorde, car il est tres-difficile de sçavoir ce qui la contraint de revenir de C en E;[...]" [Ibid.]

Aussi seule l'expérience peut-elle venir à bout de ces difficultés:

"[...]il faut user des mesmes experiences dont ie me suis servi pour trouver le nombre des retours de chaque chorde d'instrument, & au lieu que ie n'ay eu besoin que d'une chorde de leton, & de boyau de cent pieds de Roy, il en faut prendre une longue de mille pieds, & la bander tellement que sa traction d'E en C soit de dix pieds, & qu'elle employe dix secondes minutes à chaque tour & retour, c'est à dire la dixiesme partie d'une minute, afin qu'ayant divisé sa ligne de retour CH en dix parties esgales, l'on ayt loisir de remarquer le temps qu'elle employe à faire chaque dixiesme partie,[...] or la gallerie des Tuilleries est assez commode pour faire cette experience." [Harmonie universelle, *, III, p. 162.]

Voilà une expérience intelligemment conçue. La description est celle d'une situation bien nette, presque "cruciale", une situation où, semble-t-il, quelqu'un comme Galilée aurait vu clair(18). Hélas, de la part de Mersenne, le verdict ne tarde pas à tomber, tout à fait décevant:

"L'experience & la raison me font conclure que le point C de la chorde va tousiours en diminuant sa vitesse depuis C iusques à H"(19).

En définitive, du point de vue théorique, et même du point de vue expérimental, rien n'est parfaitement clair pour Mersenne dans le mouvement d'une corde! Le repos de la position extrême est la dernière "grande difficulté" sur laquelle il achoppe [Ibid., p. 163]. Afin de savoir s'il y a vraiment repos ou non, il prend plusieurs comparaisons, sans voir que les mouvements considérés sont en fait très différents les uns des autres: corps pesant jeté en haut et parvenant à son altitude maximale (en ce cas, il y a bien repos), balle rebondissant contre un mur (là, il n'y a pratiquement pas de repos), etc. Il n'évite pas ce mauvais paradoxe, à savoir que si la corde se repose, elle ne pourra pas repartir, elle se reposera toujours. Sur ce dernier point, il préfère abandonner le combat:

"Mais puis que ie ne voy nulle raison assez forte pour demonstrer si elle se repose dans les reflexions, ie viens à la seconde partie de la Proposition,[...]"(20).

Le coup d'oeil que nous venons de jeter sur la question des cordes vibrantes chez Beeckman et Mersenne est évidemment bien trop rapide, à lui seul, pour que nous puissions prétendre porter un jugement définitif. Galilée, quant à lui, n'étudie pas pour lui-même ce phénomène; comme je l'ai signalé, il se contente de le comparer au mouvement du pendule, ce qui n'est d'aucune utilité pour l'établissement de la loi des cordes vibrante, mais constitue une comparaison fructueuse pour l'étude des consonances ainsi qu'on va le voir dans ce qui suit.
Mersenne, il faut bien le dire, se montre ici assez décevant. La loi de l'inverse proportionnalité de la fréquence à la longueur était connue avant lui. S'il faut porter à son crédit la preuve expérimentale de cette loi, on doit ajouter que cela ne constituait pas une tâche extrêmement difficile à réaliser; on doit surtout préciser que, chez Mersenne, cette preuve ne s'accompagne pas du tout bien au contraire d'une vision claire du phénomène de la vibration. Le rapprochement de sa "démonstration" avec celle de Beeckman, dont il s'est directement inspiré, lui est peu flatteur. Il "en ajoute", peut-on dire, et ce qui est de son cru n'est pas bien bon! Par ses hésitations, il enlève presque tout ce qu'il y avait de recevable dans la pseudo-preuve du savant hollandais.
Sa faiblesse théorique apparaît même encore, il faut l'avouer, dans les comparaisons qu'il choisit pour tenter de comprendre la nature du mouvement de la corde. Beeckman ne donne pas de comparaison, du moins dans le passage cité; Galilée compare le mouvement de la corde à celui du pendule, c'est-à-dire un mouvement périodique à un autre mouvement périodique: cela a un sens. Mais n'est-ce pas vraiment une maladresse de théorie que d'aller mettre en parallèle, comme s'y emploie Mersenne, le mouvement périodique d'une corde vibrante avec le mouvement essentiellement apériodique du lancer d'un corps pesant?




3. Consonances et théorie de la musique

Pour cette partie, nous nous référerons à Mersenne et à Galilée(21). Il faut comprendre qu'au XVIIème siècle la théorie des consonances représente les tout premiers fondements de la musique et est donc, relativement à cet art, d'une importance capitale.


1. Mersenne

Dans l'Harmonie universelle, avec le livre des Instruments, celui des consonances est sans doute l'un des meilleurs. Dès l'abord Mersenne pose les bonnes questions, ce qu'il fait en général bien, nous avons déjà eu occasion de le constater. Mais il les résout beaucoup moins souvent qu'il ne les pose! Exemple: pourquoi les consonances sont-elles agréables? Ainsi débute le livre des Consonances:

"Ceux qui ne prennent nul plaisir à la Musique, ou qui tiennent toutes choses indifferentes, nient qu'il y ait des Consonances, ou des Dissonances, tant parce qu'ils ne prennent nul plaisir aux unes ny aux autres, que parce qu'ils n'estiment rien d'agreable ou de des-agreable dans la nature, dautant que ce qui plaist à l'un déplaist à l'autre. Et puis, quel plaisir y a t'il d'appercevoir que l'air est battu deux fois ou trois fois par une chorde, pendant qu'il est battu quatre ou six fois par un[e] autre? L'oreille & l'imagination n'est-elle pas plus contente de demeurer en repos que d'estre travaillee par quarante-huit battemens d'air d'un costé, & par nonante & six de l'autre, comme il arrive lors qu'on fait l'Octave?
D'ailleurs, pourquoy les battemens qui font la Seconde ou la Septiesme mineure, sont-ils plus des-agreables que ceux qui font la Quinte ou la Tierce? Certainement cette difficulté n'est pas l'une des moindres de la Musique; car si le vray plaisir consiste à conserver ou à faire croistre ce que nous avons, il est difficile de monstrer que les battemens d'air qui font les Consonances, aident à nostre conservation, & augmentent la perfection du corps ou de l'esprit, puis que l'on experimente que ceux qui n'aiment pas la Musique, & qui la tiennent inutile, ou tout au plus indifferente, ne sont pas moins parfaits du corps & de l'esprit que ceux qui l'aiment avec passion." [Harmonie universelle, **, I Cons., p. 1.]

Nous nous intéresserons ici à la question qui est sans doute la plus importante dans le livre des Consonances, à savoir celle de leur classement. Mersenne, qui entend donner un classement objectif(22), propose néanmoins deux classements distincts afin de résoudre la difficulté liée à la quarte (un intervalle numériquement plus consonant que les tierces 4/3 au lieu de 5/4 ou 6/5 , mais pourtant considéré comme moins bon dans la pratique musicale . On sait que l'harmonie tonale classique oblige à préparer et à résoudre la quarte, c'est-à-dire à en faire entendre la note aiguë dans un accord consonant juste avant et juste après elle.). Ces classements sont tous les deux justifiés par les nombres, mais l'un (à gauche ci-dessous) tient compte de ce que tout son contient aussi son octave supérieure (ce qu'on appellera plus tard le premier harmonique), tandis que l'autre (à droite) se fait simplement par "la plus grande union des sons" [Harmonie universelle, **, I Cons., p. 82.]:



Il est intéressant d'entrer dans quelques détails sur ce sujet. Pour que les choses soient bien claires, commençons par rappeler les rapports numériques correspondant aux principaux degrés de la gamme diatonique:



A partir de ces chiffres, si l'on part de l'hypothèse que les sons consistent en coups, l'octave, par exemple, représente la superposition de deux sons, dont le plus aigu émet deux coups lorsque le plus grave n'en émet qu'un. De là, il semble logique d'évaluer le degré de consonance d'un accord de deux sons par le rapport, au cours d'une période, du nom de coups coïncidants au nombre total des coups entendus. Or si le rapport de l'accord est n/p, il est facile de montrer que le nombre total des coups est n + p - 1 (23), alors que le nombre des coups coïncidants, toujours au cours d'une seule période, est égal à l'unité. Par exemple, pour l'octave et la quinte:

On voit que les coups totaux du fondamental et du son à l'octave sont au nombre de 2 par période (= 2+1-1, sans compter deux fois deux coups qui coïncident); de même, ceux du fondamental et de la quinte s'élèvent à 4 (=3+2-1). Ce principe de calcul conduit au classement suivant, qui ne tient compte que du nombre des coups totaux, puisque celui des coups coïncidant est toujours de un par période:


C'est bien le classement II proposé par Mersenne. Mais est-ce bien en fait le calcul de Mersenne? Notre savant décrit ainsi sa méthode de comparaison des consonances:

"Et parce que les sons de l'Octave s'unissent à chaque deuxiesme battement, & ceux de la Quinte à chaque troisiesme, l'on peut dire que la douceur de l'Octave est à celle de la Quinte, comme 3 est à 2,[...]" [Harmonie universelle, **, I Cons., p. 61].

et un peu plus loin:

"la Quarte doit estre moins douce d'un tiers que la Quinte, parce que les battemens de la Quarte ne s'unissent qu'à chaque 4[ème] coup, & ceux de la Quinte s'unissent à chaque 3[ème]. D'où il appert que la douceur de la Quinte est à celle de la Quarte comme 4 est à 3".

Or le principe du calcul des rapports de douceur des consonances ressort très simplement de ces exemples. Il consiste à évaluer le degré de consonance par le numérateur de la fraction qui définit l'intervalle consonant: 2 pour l'octave, 3 pour la quinte, 4 pour la quarte. Et du reste, ces unions (qui sont les coïncidences), on le voit, Mersenne ne les rapporte qu'au nombre total des coups du son le plus aigu de l'intervalle, ce qui explique tout de suite pourquoi, arithmétiquement, le calcul se limite à prendre le numérateur. Mais en appliquant rigoureusement ce principe de calcul, on n'obtient pas le classement proposé par Mersenne, mais un classement fautif, ou du moins douteux:


La sixte et la tierce majeures apparaissent en effet comme ex æquo. Pour les départager, doit-on supposer que Mersenne a considéré en outre les dénominateurs des rapports des intervalles (respectivement 3 et 4)? Personnellement, je n'ai pas trouvé trace de cela dans l'Harmonie universelle.
Quant au classement no I, Mersenne a l'idée "divinatoire" d'utiliser ce que nous appelons aujourd'hui le premier son partiel harmonique:

"Or cette resonance de l'Octave estant posee, ie dis que la Quarte doit paroistre moins bonne que la Tierce majeure, parce que quand on fait cette Tierce, qui est de 4 à 5, si 5 represente son Octave, l'on s'imagine 10, qui fait la Dixiesme majeure avec 4; mais quand on fait la Quarte de 3 à 4, l'Onziesme de 3 à 8 est representée, qui est beaucoup plus rude & moins agreable que la Dixiesme majeure de 2 à 5, car il ne faut pas seulement iuger de la bonté des Consonances par la consideration des simples, mais il faut quant & quant considerer leurs repliques[...]" [Ibid., p. 77.]

Ce raisonnement original ne prend en considération que le premier son harmonique (celui qui est à l'octave du son fondamental) et il ne met en oeuvre, d'une manière d'ailleurs sous-entendue, qu'un critère arithmétique, a priori sinon arbitraire, pour juger de la consonance de ce nouveau son (8/3 est plus rude que 5/2, car composé de chiffres plus grand). Comme on le voit la démonstration est donc encore loin de jouir de la rigueur physico-mathématique propre à l'analyse moderne des consonances, où interviennent les battements des sons partiels harmoniques, analyse inventée par Helmholtz (Cf. l'article cité ci-dessus: Bailhache, "Valeur actuelle de l'acoustique musicale de Helmholtz"). Et c'est pourquoi, je qualifie de "divinatoire" l'explication de Mersenne.

Ce n'est pas, en tout cas, la seule originalité de notre savant religieux. Car il est amusant de voir qu'il imagine aussi de classer les dissonances:

"[...] ie dy premierement que les Dissonances qui ont autant de battements d'air separez que les Consonances en ont de conjoints, sont aussi desagreables comme lesdites Consonances sont agreables, puisque la douceur, ou la rudesse des sons differents que l'on oyt en mesme temps, se doit prendre de l'union ou de la desunion des battemens de l'air, qui font lesdits sons, comme i'ay monstré dans le livre precedent.
Secondement, ie dy qu'il n'y a point de Dissonance qui ne soit plus desagreable que la meilleure des Consonances n'est agreable, si l'on excepte l'Unisson, dautant que chaque Dissonance a plus de battemens d'air qui ne s'unissent point, que les Consonances n'en ont qui s'unissent;[...]" [Harmonie universelle, **, II Diss., p. 129-130.]

On retrouve ici la même erreur que celle que Mersenne commettait dans le cas des consonances. La bonne manière de compter serait de prendre le rapport du nombre des coups non coïncidants (les coups "isolés") au nombre total des coups, dans chaque cas pour les deux sons de l'intervalle. Il est facile de montrer que ceci conduirait à la valeur:

Comme la fraction 1/n+p-1 représente déjà le degré de consonance, on parviendrait à ce résultat satisfaisant, que le degré de dissonance d'un intervalle est égal à l'unité moins son degré de consonance. Cela garantirait que le classement d'une série d'intervalles pris comme dissonances donne le même ordre que si l'on prend cette série comme un ensemble de consonances. Or Mersenne d'une part n'applique pas le "bon" principe de calcul pour classer les dissonances (mais ne prend à nouveau en compte que le son le plus aigu, comme dans le cas du classement des consonances); il ne contrôle pas d'autre part si son principe de classement des intervalles pris comme dissonances produit le même résultat que leur classement comme consonances. Et pourtant, on aurait pu espérer qu'il le fît, car à propos du rôle que doit jouer le chiffre 7 dans l'harmonie, il affirme, d'une façon très moderne du reste, qu'il n'y pas de frontière tranchée entre les concepts de consonance et de dissonance nous allons revenir sur cette question dans quelques instants.

Mentionnons encore qu'on trouve sous la plume de Mersenne cette idée amusante, que les douleurs (les dissonances) sont plus intenses que les plaisirs (les consonances), le mal plus puissant que le bien; en outre le mal dure, laisse des cicatrices:

"Mais si nous demeurons dans les plaisirs qui dependent des organes du corps, l'experience nous apprend que les deplaisirs sont plus sensibles que les plaisirs, comme l'on void aux mauvaises odeurs qui penetrent iusques au cerveau, & dont on ne peut se preserver par le moyen des meilleures odeurs, qui se corrompent aisément par le meslange des mauvaises, quoy que l'on mesle fort peu de celles-cy avec une grande quantité de celles-là. Ce qui arrive semblablement aux Dissonances, dont la moindre pervertit tellement les meilleures Consonances, que l'on n'en reçoit plus rien que du deplaisir, comme l'on experimente à l'Octave, avec laquelle on joint la Seconde pour faire la Neufiesme." [Ibid., p. 130.]

Enfin, avant d'étudier comment Galilée traite la question des consonances, il ne me semble pas inutile de rendre compte de la façon tout à fait typique de son style de démarche dont Mersenne parle du rôle du nombre 7 dans la musique. Historiquement, c'est un vieux problème. Comme on le constate dans les tableaux précédents, ce chiffre n'apparaît pas dans les rapports des intervalles de la gamme diatonique. Pourquoi la musique s'arrête-t-elle au chiffre 7, et d'ailleurs s'arrête-t-elle vraiment à ce chiffre? Selon son habitude, Mersenne commence par poser très clairement le problème:

"Cette difficulté est l'une des plus grandes de la Musique [...]
Car pourquoy les deux sons, dont la raison est sesquisexte, c'est à dire de 7 à 6, ou sesquiseptiesme de 8 à 7, ne sont-ils pas agreables? Et si nous considerons les Consonances repetees, pourquoy les sons, dont la raison est de 7 à 1, & de 9 à 1, c'est à dire septuple, & noncuple, ne plaisent-ils pas à l'esprit & à l'oreille? puis que ceux, dont la raison est de 8, de 10, de 12, & de 16 à 1, sont agreables, quoy que ceux de 7 à 1, ou de 9 à 1 s'unissent plus souvent, & consequemment qu'ils doivent estre plus agreables[...]" [Harmonie universelle, **, I Cons., p. 82.]

C'est alors que Mersenne se lance dans un exposé, plutôt embrouillé et fastidieux, d'arguments variés, en faisant appel à diverses autorités, Kepler et Platon notamment. Mais cette masse de libres commentaires(24) et d'objections académiques préparaient en fait la décision finale d'accepter, au moins en principe, les intervalles contenant le chiffre 7:

"Puisque le long exercice a coustume de rendre doux & facile ce qui sembloit auparavant rude & fascheux, ie ne doute nullement que les intervalles dissonans, dont i'ay parlé dans cette proposition, à sçavoir les raisons de 7 à 6, & de 8 à 7, qui divisent la Quarte, ne puissent devenir agreables, si l'on s'accoustume à les oüir & à les endurer, & que l'on en use comme il faut dans les recits & dans les concerts, afin d'emouvoir les passions, & pour plusieurs effets, dont la Musique ordinaire est privée." [Harmonie universelle, **, I Cons., p. 89.]

Et, dans ces dernières lignes, il faut reconnaître qu'il se montre parfaitement "moderne".



2. Galilée

Ainsi que je l'ai déjà dit, c'est à la fin de la première journée (dans les huit dernières pages [Galilée, op. cit., p. 80-88.]) des Discorsi, que Galilée aborde la question des cordes vibrantes et celle des consonances. Il le fait d'une manière fort originale, dans le dessein de rendre plus compréhensible, par une comparaison, le mouvement du pendule. Plusieurs expériences, célèbres, sont présentées, dont il faut avouer que le compte rendu galiléen laisse parfois transparaître, sans aucune ambiguïté, qu'elles n'ont pas été réellement effectuées(25). Mais peu importe ici, car notre intérêt porte sur la théorie des consonances. Laissons la parole à Galilée lui-même:

"[...] je dis que la raison première et immédiate dont dépendent les rapports des intervalles musicaux n'est ni la longueur des cordes, ni leur tension, ni leur grosseur, mais la proportion existant entre les fréquences des vibrations, et donc des ondes qui, en se propageant dans l'air, viennent frapper le tympan de l'oreille en le faisant vibrer aux mêmes intervalles de temps. Ce point étant établi, peut-être pourrons-nous déterminer pour quelle raison précise certains couples de sons, même dans des tons différents, sont reçus avec un grand plaisir par notre sensorium, et d'autres avec un plaisir moindre, tandis que d'autres enfin nous frappent très désagréablement; ce qui revient encore à fournir la raison des consonances plus ou moins parfaites et des dissonances. Le désagrément de ces dernières, à mon avis, provient des vibrations discordantes de deux notes différentes frappant le tympan hors de toute proportion rationnelle, et l'effet de la dissonance sera particulièrement pénible quand les fréquences des vibrations seront incommensurables; ce qui se produira, par exemple, si, de deux cordes à l'unisson, on pince l'une en même temps qu'une partie de l'autre ayant à sa longueur totale même rapport que le côté d'un carré à sa diagonale, cette dissonance étant alors semblable à la quarte augmentée ou à la quinte diminuée. Formant consonance, et reçus avec plaisir, seront au contraire les couples de notes qui viennent heurter le tympan avec une certaine régularité; et celle-ci requiert d'abord que les percussions exercées en même temps soient commensurables en nombre, afin que la membrane du tympan n'éprouve pas ce perpétuel tourment de devoir s'infléchir de deux manières différentes pour se prêter et se soumettre à des impulsions toujours discordantes." [op. cit., p. 84.]

J'interromps ici la citation pour remarquer que, si nous avons droit à une description apparemment plus précise des phénomènes de consonance et de dissonance que chez Mersenne, il convient hélas d'émettre quelques réserves quant au bien-fondé scientifique de cette description. Car enfin il n'est pas vrai, en toute rigueur, que l'impression de consonance aille systématiquement de pair avec la rationalité du rapport des fréquences des sons de l'intervalle; une octave faussée d'une quantité extrêmement faible paraîtra aussi bonne qu'une octave parfaitement juste. La beauté attachée à l'ordre n'est qu'approximative et il resterait à expliquer pourquoi la régularité produit le beau, ce que Galilée semble prendre pour une évidence (mais ce dont on peut aussi le pardonner, puisqu'un mathématicien comme Euler ne fera pas mieux cent ans plus tard). Le principe du classement des consonances suit immédiatement:

"Ainsi la première et la plus agréable consonance sera celle de l'octave, puisqu'à chaque percussion du tympan due à la corde la plus grave correspondent deux percussions provoquées par la corde la plus aiguë: à l'occasion d'une vibration sur deux de la corde la plus aiguë les effets viendront donc se conjuguer, en sorte que la moitié des percussions au total battront l'oreille ensemble; de leur côté deux cordes à l'unisson, vibrant toujours ensemble, donnent l'impression d'une seule corde et pour cette raison ne produisent aucune consonance. La quinte elle aussi est agréable, par le fait qu'à deux pulsations de la corde la plus grave correspondent chaque fois trois pulsations de la corde la plus aiguë: si donc l'on compte d'après les vibrations de cette dernière, un tiers de toutes les vibrations ont lieu ensemble, ce qui signifie que deux vibrations solitaires viennent s'intercaler entre chaque couple de vibrations concordantes; dans la quarte, ce sont trois vibrations solitaires qui viendront s'intercaler." [op. cit., p. 85.]

Nous constatons que Galilée, comme Mersenne, évalue le degré de consonance en comptant les vibrations coïncidantes dans l'ensemble des vibrations de la corde la plus aiguë seulement et non dans l'ensemble des vibrations des deux cordes. Il le dit sans ambiguïté pour l'octave et la quinte, et le laisse entendre sans autre interprétation possible pour la quarte (ce sont les seuls intervalles qu'il considère)(26). Si ce résultat est un peu décevant de la part de l'auteur des Discorsi, on doit tout de même souligner qu'il est déjà très satisfaisant, puisque la question n'est traitée qu'à titre de sujet annexe et, en tout cas, qu'en bien peu de lignes, alors qu'un Mersenne lui consacre quantité de pages sans parvenir à un résultat vraiment meilleur.




4. Retour à Mersenne: la musique "numérique", la métaphysique, la religion

En divers endroits, Mersenne "mathématise" la musique à un point extrême. Mais l'ensemble le montre bien, il ne s'agit en fait que d'une attitude assez exceptionnelle. On trouve chez lui, comme chez bien d'autres avant et surtout après lui (je pense à l'art combinatoire de Leibniz, aux ouvrages de théorie musicale de d'Alembert et d'Euler), cette idée qu'il suffirait de faire de bonnes mathématiques pour produire de la musique audible. Toutefois, Mersenne de se fait pas d'illusions:

"Il s'ensuit semblablement qu'un Arithmeticien peut apprendre la Musique sans maistre, & qu'il n'y a nulle science si aisee, puis que ses meilleures raisons consistent seulement à conter 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, &c. & à comparer ces nombres les uns aux autres. Il faut neanmoins remarquer que ie parle icy de la vraye Theorie, & non de la Pratique, à laquelle il faut plus de temps, dautant que le corps est plus lourd que l'esprit, & qu'il faut quasi prendre autant de peine à le rendre prompt, & habile à suivre les mouvements de l'esprit, comme pour apprendre les oiseaux à parler, & les autres animaux à imiter les actions de l'homme." [Harmonie universelle, **, I Cons., p. 105.]

L'auteur de l'Harmonie universelle paraît plus convaincu de l'utilité des mathématiques et même les applique alors avec un acharnement plus que déconcertant, lorsque souvent sur plusieurs pages aux caractères serrés il dresse des tables: la tables des 720 chants d'ut, ré, mi, fa, sol, la . On sait que la note si n'est apparue que plus tard. (ce sont toutes les permutations de ces six notes, que Mersenne écrit de la première jusqu'à la dernière avec la plus grande patience!), la table des 100 consonances sur 14 octaves, celle des 50 dissonances sur 8 octaves, etc.(27).

La métaphysique et la religion interviennent souvent dans le discours de Mersenne sur la musique. Un bon exemple en est celui de l'unisson , que Mersenne compare à Dieu. L'unisson explique toutes les consonances comme l'amour de Dieu toutes les vertus:

"L'on peut dire que tout la Musique n'est quasi autre chose que l'Unisson, comme les vertus ne sont autre chose que l'amour, & consequemment que l'amour & l'Unisson sont semblables; car si les Consonances ont quelque chose de bon & d'agreable, elles le prennent de l'Unisson, comme toutes les vertus tiennent leur bonté & leur excellence de l'amour. Ce que l'on peut confirmer par l'authorité de sainct Augustin, qui definit la Vertu dans le livre des Coustumes de l'Eglise, chapitre 14: Nihil omnino esse virtutem affirmaverim nisi summum Dei amorem [...]." [Harmonie universelle, **, I Cons., p. 30]

Mais il y a quelques subtilités, car en un certain sens, l'unisson n'est pas le principe des consonances (l'égalité n'engendre que l'égalité). Plus loin, Mersenne compare l'ensemble des premières consonances avec la Sainte Trinité; ici l'accent est vraiment religieux:

"[...] il est plus certain que la raison d'inegalité vient de celle de l'egalité, ou du moins qu'elle la suppose, qu'il n'est que les moindres raisons viennent des plus grandes: car si Dieu n'avoit voulu faire que deux creatures, dont l'une surpassast l'autre d'une huictiesme partie, la moindre raison seroit sans la plus grande; & si l'on contemple l'ordre des raisons qui sont dans les idees divines, c'est à dire si l'on considere comment Dieu connoist les raisons, l'on ne trouvera pas qu'il considere la raison double devant la sesquioctave(28), ny qu'il ait voulu que l'une precedast l'autre: car Dieu n'a rien dans sa nature qui l'oblige de considerer plutost l'une que l'autre; si ce n'est que l'on die que le Pere & le Fils sont en raison double du sainct Esprit, puis que l'on peut comparer la premiere & la seconde personne à la troisiesme pour trouver la raison double dans la divinité, & pour prouver que l'Octave est la plus simple & la plus douce consonance de la Musique, si l'on excepte l'Unisson qui represente en quelque maniere la nature divine, dautant que c'est d'elle dont il faut tirer la raison pourquoy les trois personnes sont une mesme chose avec l'essence de Dieu, sans laquelle elles seroient entierement distinctes, & n'auroient nulle unité; comme les intervalles de la Musique ne s'uniroient nullement, & demeureroient toujours distincts, s'ils ne participoient aux influences que l'Unisson envoye à toutes les Consonances, & mesme aux Dissonances, comme le Soleil envoye les siennes sur tous les corps." [Harmonie universelle, **, I Cons., p. 37-38].




5. En guise de conclusion

L'étude que je viens d'ébaucher ne prétend pas dresser une comparaison objective entre des hommes aussi différents par la nature de leurs esprits que par la manière dont ils traitent les questions des cordes vibrantes et des consonances. Mon dessein était de faire connaître les similitudes et les différences dans ces traitements, afin qu'on puisse déterminer ce qui revient en propre à chacun. Peut-être faut-il reconnaître, dans ce cas, que le bref raisonnement Beeckman sur la loi des cordes, malgré tous ses défauts, témoigne d'une incontestable originalité. Curieusement, il serait difficile d'en dire autant sur Galilée, du moins sur le strict plan de la théorie des consonances. Et, finalement, la figure la plus étonnante, dans le domaine qui nous occupe, est bien celle de Mersenne.

Assurément, le savant religieux est critiquable en bien des points. Il se contredit, il hésite, au point de décevoir lourdement son lecteur. Les exemples abondent de ses hésitations, rétractations ou excès de volonté conciliatrice: ainsi, pour se limiter aux thèmes de l'Harmonie universelle(29), lorsqu'il s'agit de savoir si les deux premiers tons ut-ré, ré-mi se succèdent dans l'ordre ton majeur-ton mineur ou dans l'ordre inverse(30), lorsqu'il s'agit d'admettre ou de refuser le tempérament égal [Harmonie universelle, **, II Diss., p. 132]. Il n'est qu'un sujet sur lequel Mersenne ne "badine" pas, c'est celui de la religion. Mais si l'on peut sans doute lui reprocher de manquer parfois de netteté dans la décision intellectuelle, il possède en revanche une qualité inestimable celle qui est à l'origine de sa fécondité: c'est son infatigable curiosité.

Je me permettrai, pour terminer, de citer ce passage de la fin de la Préface générale à l'Harmonie universelle, qui laissera une image à mon avis typique de son auteur:

"Certes c'est une chose estrange que de mille joüeurs de Luth, & des autres instrumens, l'on n'en rencontre pas dix qui prennent plaisir à chanter, & à exprimer les Cantiques divins; & qui n'ayment mieux joüer une centaine de courantes, de sarabandes, ou d'Allemandes, qu'un air spirituel: de sorte qu'il semble qu'ils ayent voüé tout leur travail à la vanité, qu'ils entonnent dans le coeur par les oreilles, comme par autant d'entonnoirs. I'avoüe que je suis de l'advis des plus excellents politiques, à sçavoir que cette espèce de Musique, qui amolist, & énerve le courage, & qui émousse la pointe de l'esprit des ieunes gens, devroit estre bannie des Republiques, comme toutes les autres choses qui corrompent les bonnes moeurs, dont on viendroit aysement à bout si les Magistrats establissoient des prix, & des honnestes recompences pour ceux qui pratiqueroient seulement la Musique Dorienne, & les autres especes, dont nous avons parlé, pour celebrer les loüanges de Dieu, & pour chanter les loix qui servent à l'instruction des enfans."

Si l'on veut "actualiser", ne peut-on pas reconnaître dans ces courantes, sarabandes et allemandes déplorées par notre religieux minime ce que j'ai pris l'habitude d'appeler et c'est un euphémisme! la musique de supermarché?


NOTES

1. Descartes la jugeait "ridicule". Cf. H.F. Cohen, Quantifying Music, Reidel, 1984, p. 201.

2. Harmonie universelle, *, I, p. 9. Cette référence, comme toutes les suivantes à la grande oeuvre de Mersenne (1636), désigne, dans le premier volume (une seule étoile *), le livre I, page 9, pris dans la réédition du C.N.R.S., en facsimilé, Paris 1963.

3. Ce mouvement rappelle celui de la lumière chez Descartes, qui, dans La Dioptrique, prend la comparaison d'un baquet rempli de grappes et de jus de raisin. Plus que d'un mouvement, il s'agit alors de "l'action ou inclinaison à se mouvoir", ce qui explique que l'action se transmet presque immédiatement partout malgré les obstacles créés par les grains de raisin (la lumière, de même, chemine instantanément à travers les milieux réfringents). Pour être logique avec lui-même, Mersenne devrait déduire de sa comparaison que le son se propage infiniment vite, comme la lumière. Mais il note au contraire que la vitesse du son est finie, ainsi que l'attestent de nombreuses expériences (ibid., p. 14).

4. Harmonie universelle, **, I Consonances, p. 5 et suiv.

5. Harmonie universelle, **, I Cons., p. 6.

6. Ainsi, Euler, dans son Tentamen novae theoriae musicae (1739) ne comprend pas mieux que Mersenne le mécanisme de la perception du son. C'est Helmholtz, vers 1860, qui élucidera le mécanisme des osselets et du limaçon, et fera ainsi progresser d'un coup (même par rapport à Rameau et d'Alembert) la compréhension de la perception du son musical. Cf. Bailhache, "Valeur actuelle de l'acoustique musicale de Helmholtz", Revue d'Histoire des Sciences, XXXIX/4, 1986, p. 301-324, reproduit dans Sciences et Techniques en perspective, vol. XI, 1987, p. 152-174.

7. Harmonie universelle, **, I De la Voix, p. 79-81.

8. "Ie dis donc premierement que l'oreille ne connoist pas les sons, & qu'elle ne sert que d'instrument & d'organe pour les faire passer dans l'esprit qui en considere la nature & les proprietez, & consequemment que les bestes n'ont pas la connoissance desdits sons, mais la seule representation, sans sçavoir si ce qu'elles apprehendent est un son ou une couleur, ou quelqu'autre chose;[...]", Ibid., p. 79.

9. Mersenne est coutumier des digressions. Au paragraphe suivant celui dont nous venons de citer les premières lignes, nous sommes apparemment très loin de la perception du son: "De là vient qu'il [l'esprit] fait des propositions qui sont eternellement veritables, par exemple, que s'il y a quelque estre de soy-mesme & indépendant, qu'il est necessaire qu'il ait tousiours esté, & qu'il ne puisse iamais cesser d'estre, & qu'il ait toutes sortes de perfections; que cet estre est tres-bon, & consequemment qu'il est tres-aimable;[etc.]", Ibid., p. 80.

10. Harmonie universelle, **, I De la Voix, p. 81.

11. Journal tenu par Isaac Beeckman de 1604 à 1634, ed. C. de Waard, Den Haag 1939-1953, vol. I, p. 54-55, traduction personnelle.

12. Une ambiguïté comparable pèse sur un texte des Discorsi de Galilée, dans lequel l'auteur s'efforce de montrer, dans le mouvement de la chute des corps, l'absurdité de l'hypothèse de la croissance de la vitesse proportionnellement à l'espace (Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles, trad. Clavelin, A. Colin, Paris 1970, p. 136). Le terme italien utilisé par Galilée prouve sans contestation possible qu'il a en vue la vitesse moyenne et non la vitesse instantanée, alors que c'est ce dernier concept qui conviendrait à la démonstration, et non le premier. Il est cependant remarquable, qu'en changeant l'un pour l'autre on obtient une preuve tout à fait correcte (contrairement à ce que certains ont dit); la situation n'est pas si brillante avec Beeckman!.

13. Cf. Koyré, Etudes Galiléennes, Hermann, Paris 1966, p. 108.

14. Cf. Truesdell, "The Rational Mechanics of Flexible or Elastic Bodies 1638-1788", Euler Opera Omnia, Turin 1960, ii, XI, part 2, p. 26.

15. A l'inverse, Galilée imagine que le son est émis lorsque la corde atteint son déplacement transversal maximum (op. cit., p. 85-86, à la fin de la "première journée"). Cf. plus bas, dans la section consacrée à l'étude des théories des consonances.

16. Mersenne ne le dit pas, mais c'est la seule manière de donner un sens à la grossière contradiction qui résulterait d'une lecture trop littérale de son texte.

17. Qu'on pense par exemple à son attitude envers l'expérience du baromètre; cf. Dugas, Histoire de la mécanique au XVIIème siècle, Ed. du Griffon, Neuchâtel 1954, p. 228.

18. Même si la supériorité de l'esprit scientifique de Galilée sur celui de Mersenne ne fait point de doute, on doit cependant rester prudent. Ainsi, par exemple, sur la question du classement des consonances, le savant italien n'est pas meilleur que le religieux minime; tous deux, en effet, commettent la faute de mesurer le degré de consonance de deux sons par le rapport du nombre de coups coïncidants au nombre de coups total du son le plus aigu, alors qu'il aurait fallu prendre le rapport à la somme de tous les coups des deux sons (cf. pour Mersenne: Harmonie universelle, **, I Cons., p. 82; pour Galilée: Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles, trad. Clavelin, A. Colin, Paris 1970, p. 84-85).

19. Ibid. Au surplus, Mersenne ne traite pas de la même manière le premier aller de la corde que les va et vient qui le suivent. Pour ces derniers, dit-il, la vitesse croît depuis la position extrême jusqu'à la position d'équilibre et décroît ensuite jusqu'à la position extrême opposée (p. 164).

20. Ibid., p. 164. Galilée rencontre la même difficulté avec la chute des corps, qui doit commencer avec une vitesse nulle; mais il la surmonte, autant par le raisonnement que par l'expérience (op. cit., p. 132).

21. Bien entendu, il serait également intéressant d'examiner les conceptions de Descartes, de Kepler et de bien d'autres savants.Pour un aperçu rapide, on pourra consulter l'ouvrage de H.F. Cohen, déjà cité, Quantifying Music.

22. "Il faut remarquer une fois pour toutes que lors que ie dis qu'une Consonance est plus agreable qu'une autre, que cet agréement doit estre entendu de la douceur & de l'union qui se fait des deux sons qui la constituent, & non du iugement que chacun en fait en son particulier, autrement il arriveroit qu'une mesme chose seroit agreable & desagreable, ou moins & plus agreable, à raison des differentes dispositions des auditeurs, & des differents iugements [...]", Harmonie universelle, **, I Cons., p. 62. Ceci constitue, en quelque sorte, une réponse à l'objection que Descartes élevait au classement des consonances, dans une lettre à Mersenne, en 1630: "Vous m'empeschez autant de me demander de combien une consonance est plus agreable qu'une autre, que si vous me demandiez de combien les fruits me sont plus agreables à manger que les poissons." (cité par Cohen, op. cit., p. 284).

23. Cette formule est la même que celle que donne Euler, sans cette explication, dans son Tentamen novae theoriae musicae de 1739 (p. 295 et suiv.).

24. Les digressions ne sont pas évitées: "Car le combat des phantosmes & de l'entendement est si grand, que lors que l'esprit croit estre libre, & qu'il essaye de s'eslever par dessus tout ce qui est creé, afin de concevoir celuy qui surpasse tout estre, toute bonté & toute puissance, il est contraint de retomber dans les tenebres, & de confesser qu'il est esclave de la matière pendant qu'il est lié au corps; de sorte que chacun est contraint de s'escrier avec l'Apostre, Infoelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis huius [etc., etc.]", Ibid., p. 83.

25. Il s'agit des expériences 1) de la vibration par influence d'une corde sur l'autre, 2) des ondes liquides passant du fondamental à l'octave dans l'action du frottement d'un doigt sur un verre rempli d'eau, 3) de l'"enregistrement" quasi phonographique d'un son musical par le raclement d'un style sur une plaque de cuivre. Dans ce troisième cas, Galilée "triche" indéniablement, puisqu'il affirme que pour un son à la quinte d'un autre, les "petites virgules" gravées dans le métal sont resserrées dans le rapport 2/3, ... après avoir énoncé cependant, que le mouvement du ciseau était plus rapide. Or ce surcroît de rapidité aurait dû entraîner un écartement relatif des traces dans le métal, de sorte qu'il aurait dû les observer plus écartées que des 2/3 de l'écartement des traces du son fondamental.

26. L'analyse détaillée, donnée à la page suivante, pour la quinte ne fait que confirmer cette explication. Sur le passage que je cite, H.F. Cohen (Quantifying Music, op. cit., p. 94) écrit: "Since consonance is supposed to come from the freqent coincidence of pulses it seems obvious to infer that the more often the pulses coincide the more consonant the interval in question is. Therefore a scale of degrees of consonance is given simply by multiplying the terms of the frequency ratios of the consonant intervals." (c'est moi qui souligne). Mais cela ne se trouve aucunement dans le texte de Galilée! Et, du reste, il faudrait expliquer pourquoi le produit p.q des termes de l'intervalle p/q fournit un classement acceptable des consonances. En toute rigueur, on peut comparer ce classement avec celui que je suggère plus haut à propos de l'évaluation du degré de consonance par Mersenne. Ce classement correspond exactement au rapport du nombre des coups coïncidants au nombre total des coups, à savoir 1/(n+p-1), ou, ce qui revient au même, n+p (car le sens de l'ordre et l'unité n'ont pas d'importance). Les calculs, effectués pour les dix premiers nombres (n doit être supérieur à p, et n et p doivent être premiers entre eux), donnent ce résultat curieux, que les deux classements, tout en étant différents dans leur ensemble, coïncident pour les intervalles fondamentaux de la gamme (octave, quinte, quarte, 6e majeure, 3e majeure, 3e mineure, 6e mineure). De là vient, peut-être, l'erreur de Cohen.

27. Harmonie universelle, **, II Chants, p. 108-110, 111-115, etc.; I Cons., p. 108-110. Naturellement, Mersenne a parfaitement conscience de l'inutilité pratique de l'extrême étendue de sa table des consonances: "Cette proposition n'est pas nécessaire pour composer, parce que les voix & les Instruments ne passent iamais huict Octaves[...]", Ibid., p. 106.

28. La raison sesquioctave est le rapport 1+(1/8), c'est-à-dire 9/8, le rapport du ton majeur.

29. Si l'on voulait chercher ailleurs, on pourrait rappeler son attitude envers la question du baromètre. Cf. ci-dessus en note, référence à l'Histoire de la mécanique de Dugas.

30. Harmonie universelle, **, III Genres, p. 152. Cette question sera âprement disputée entre Henfling, un correspondant de Leibniz, et le savant chargé par ce dernier d'examiner ses travaux. Cf. Der Briefwechsel zwischen Leibniz und Conrad Henfling, Herausgegeben von R. Haase, 1982, p. 106 et 123-124.